Champion et Ooneemeetoo by Robert Dickson

Champion et Ooneemeetoo by Robert Dickson

Auteur:Robert Dickson
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782894235072
Éditeur: Prise de parole


Vingt

« Et deuxième position et deux et plié… »

La voix d’acier de Mlle Churley tranchait la musique comme une lame de rasoir. D’en arrière du studio, Gabriel suivait les ordres de cette femme au regard sévère : il s’agrippa à la barre, avança vigoureusement son bas-ventre et plia les genoux, étonné qu’un si simple mouvement puisse entraîner tant de douleur physique. Il n’en était pas moins content d’avoir osé, enfin, changer de statut, passer de simple observateur à participant.

Les petits suisses devant lui étaient si incroyablement jolis qu’il avait envie de courir dans leurs rangs et pincer chaque petite joue dodue. Mais leurs mères étaient assises près de la porte, à regarder leurs filles, hochant la tête, les yeux pleins d’eau. Il tint plutôt la paume de sa main droite en l’air comme pour vérifier s’il pleuvait, et il s’étira le cou au point où il se demandait à quel moment sa tête allait toucher au plafond.

« Et troisième position et deux et trois… »

Aussi roses que de la barbe-à-papa dans leurs collants et leurs chaussons de danse, les cheveux noués sur la tête comme des glands de chêne à l’envers, les bébés ballerines s’étendaient à l’infini, les murs tout en miroirs les multipliant jusqu’à en faire des centaines. Dieu merci, elles n’étaient que vingt-quatre, pensa Gabriel momentanément avec une certaine honte, car jamais son image masculine n’avait été aussi éprouvée. Il tentait d’éviter son reflet au loin, mais il n’en demeurait pas moins que peu de ces petites filles de cinq et six ans lui arrivaient au nombril, ce qui lui donnait l’impression d’être un Wendigo. Lorsqu’une mère lui adressait un sourire, il l’interprétait comme railleur; il s’imaginait un prêtre iodlant Weeks’chiloowew à la vue de ses collants noirs enserrant son sexe protubérant. Malgré tout, il persévérait, ramena son pied droit dans son soulier délicat de la troisième à la première position, dans une exécution approximative de la volonté de fer de Mlle Churley.

Aussi pâle qu’un fantôme, la jeune femme musclée en jean et blouse blanche commença à passer dans les rangs en mouvement alors que la vieille dame au piano continuait à jouer la valse la plus grassette que Gabriel ait entendue de sa vie. Au passage, Mlle Churley s’arrêtait pour ajuster un petit bras par ci, une petite jambe par là, ici une taille, là un cou, pleinement confiante que ces petites touches auraient comme résultat une belle récolte de Pavlovas manitobaines. Plus elle s’approchait de Gabriel, plus il bombait le torse; il semblait approprié, il ne savait trop pourquoi, d’adopter cette position à l’approche du danger.

« Trop tendu, monsieur Okimasis, beaucoup trop tendu. Détendez-vous, ce n’est pas du kung-fu. » Elle poussa le pied droit de Gabriel vers l’intérieur, et retourna sa paume : « Et la paume va par en-dessous, non le contraire. Vous prierez le Gitche Manitou après la classe. » D’une poigne de fer, elle prit ses hanches et les tourna vers l’extérieur. « Pouah! » haleta-t-elle, comme si elle venait d’être frappée par une explosion silencieuse de gaz, « aussi contracté qu’un ressort de lit ».



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